Date : 27 mars 2010
Lieu : Mannheim (Allemagne)
Le Time Warp traîne derrière lui un double fantasme : une programmation techno toujours irréprochable pour un marathon physique sans commune mesure. Cela est vrai mais se révèle n'être que la face visible de l’iceberg tant cette édition 2010 va exploser les barrières pour propulser le public dans une déformation du temps sans retour, piloté par les maîtres d’une techno aussi puissante que racée.
Pourtant sur le papier, Mannheim ne fait pas rêver. Ville industrielle, austère et grise, il n’y a pas lieu de s’y attarder. Il est 22h, je suis prêt à en découdre. Un rapide tour d’horizon s’impose pour mieux prendre la mesure du site qui sera bientôt gonflé de 20.000 clubbers (une fois de plus, le festival affiche complet). L’allée centrale permet aux festivaliers de s’éparpiller dans les 5 floors du lieu. L’organisation est sans faille, on fait très rarement la queue aux divers stands, un système de casiers permet de ranger ses affaires et on circule facilement d’une salle à une autre.
Il est désormais temps de concrétiser mes errances en me figeant devant les DJ. 22h30, les Turntablerocker jouent l’efficacité avec une techno rentre-dedans plutôt efficace. Je ne m’éternise pas car pour un warm-up c’est trop violent. 23h30, Dixon a pris possession du floor 5, un mini club de 1.000 personnes tout en podiums et ouvert sur le ciel. Fidèle à lui-même, il construit un mix deep-house inspiré. Mais ce coup-ci, c’est trop mou par rapport à mes attentes. Autant se rendre dans l’antre du Time Warp, l’énorme hangar accueillant les deux premières salles. Malgré la promiscuité des 2 floors, jamais les acoustiques parfaites ne se télescoperont. Nous choisissons de fendre la foule pour se positionner aux pieds de Monika Kruse. Il est minuit, le festival commence enfin. Monika balance un set techno imparable malgré son côté lancinant. Les semelles commencent à chauffer, on sent que la nuit ne fait que commencer.
3h30, Ricardo Villalobos est attendu comme le messie. Un simple geste de la main et le public exulte. C’est dingue comme le Chilien peut soulever autant les foules alors qu’il n’a même pas commencé. Ricardo ne va pas déroger à son talent d’hypnotiseur house avec un set flirtant la perfection. Sa façon de mixer, toujours de profil, allier à son irréprochable fluidité technique emportent l’adhésion. Je m’éclipse cependant de temps en temps pour écouter ce que proposent les autres salles. Sur le floor 1, Chris Liebing ne fait pas dans la dentelle avec une techno qui ramone les cerveaux, pendant que sur le floor 2 le local de l’étape, Sven Väth, dynamite le public avec une techno plus trancey mais un poil trop linéaire.
Il est 6h quand un premier coup de fatigue se fait sentir. Et c’est là que le festival fait fort, en proposant un grand espace chill-out où l’on peut s’allonger sur la moquette bien au chaud. Cerise sur le gâteau, Matthew Hawtin est aux platines de 19h à 13h. Pendant 1h, ma tête prendra congé aux sons de Jon Hopkins, Ametsub ou Asura. Quel pied ! Après cet interlude, je comprends définitivement le principe du festival. Il est 7h, nous n’en sommes qu’à la moitié. La déformation du temps peut vraiment commencer alors que le jour s’est imposé et que les esprits se liquéfient.
La salle 2 est blindée, il est difficile de s’y faire une place mais il est pourtant hors de question de manquer la tête d’affiche de la soirée : Plastikman. De retour au live après de trop longues années d’absences, Richie Hawtin ne va pas nous décevoir. De 8h à 10h, il va construire un live d’une technicité impressionnante. Aux confins de la techno mentale et de l’IDM, Plastikman joue avec nos neurones sur des thèmes raves 90’s et sur des rythmiques abstract à faire pâlir de jalousie un DJ Krush. Hawtin est planqué derrière un écran de LED semi-circulaire imposant un visuel captivant. Ces 2h seront tout simplement magistrale.
10h, direction le floor 5 pour la fin du set de Laurent Garnier. Sous la coupole, il fait grand jour et le public reste totalement réceptif. Laurent Garnier est toujours aussi communicatif avec ses fans. L’échange est réel et le boss nous gratifie d’un Crispy Bacon renversant et collant le sourire à tout le monde. Je file ensuite écouter le roi d’Ibiza, Loco Dice. Plus on avance vers les platines, plus les corps se dénudent. Loco Dice tape dans une tech-house imparable à cette heure-ci et réussi à faire surgir le soleil dans le floor 3. Mais le physique commence à en pâtir, une petite pause au chill-out s’impose. Sur un son de plus en plus deep, mes jambes se prélassent avant le coup de grâce. On soulève ici un des points importants du Time Warp : l’implication physique. Ce festival est un marathon d’une rare violence demandant une vraie préparation mais la récompense est là et c’est quand on amène son corps dans ses derniers retranchements qu’on commence à saisir définitivement le principe du festival.
Il est midi sur le floor 3 et Magda ramasse les clubbers à la petite cuillère avec sa techno mentale tout en douceur. Au Time Warp, l’apothéose est toujours pour le finish. Sur le floor 2, Ricardo Villalobos, Loco Dice et Marco Carola se partagent les platines. Sur le papier ça fait rêver, non ? Et bien dites-vous qu’en vrai, ce fut bien plus que ça. Tout simplement la perfection absolue au son d’une tech-house souvent deep et minimal, complètement hypnotique pour un set d’une limpidité exemplaire. Et quand Richie Hawtin, Laurent Garnier, Sven Väth et Dubfire rejoignent le groupe, on se dit qu’on ne pourra plus jamais voir un tel parterre de maîtres devant soit. Il a beau être 14h, le public est toujours présent et les corps chaloupent. C’est le moment choisi pour définitivement m’éclipser et quitter le festival avec un sourire figé.
Le Time Warp est bien plus qu’un simple festival techno : c’est tout simplement le nirvana pour tout amateur du genre ! Si c’était seulement la prog qui faisait la différence, ce festival serait déjà dans le peloton mais c’est surtout sa parfaite ambiance et cette communion avec les DJ qui permet de prendre conscience qu’on vit un moment à part, définitivement hors du temps. Les DJ qui jouent au Time Warp ne sont pas des mercenaires, ici les sets dépassent facilement les 4h et ils n’hésitent pas à rester pour jouer ensuite avec les autres. Il en ressort une sorte de respect mutuel impalpable qui finit par faire du Time Warp, le festival techno incontournable chaque année.